“Les Jours”, média indépendant, a lancé une collecte sur KissKiss en juin 2015. Fort de son succès, le média d’actualité caractériel et obsessionnel a récolté 80 000 € pour le lancement de son site. Rencontre avec Sophian Fanen, co-fondateur de « Les Jours ».
Les Jours s’est démarqué par une communication innovante, à travers des newsletters au ton singulier et une série de vidéos inédites mettant en scène André Manoukian. Ce dernier, dans des situations absurdes, utilise son ordinateur, sa tablette et son téléphone portable pour des gestes quotidiens, à des fins étranges. (à retrouver sous forme de gifs ci-dessous).
Rencontre avec Sophian Fanen, cofondateur du média « Les Jours »
Pouvez-vous présenter le projet « les jours » ?
C’est un projet qui a émergé à Libération et qui a pris sa liberté assez rapidement. On est parti entre Janvier et Mai, pas tous en même temps. On a tous rejoint ce projet là. C’est un projet purement sur internet, sur abonnement, donc sans publicité, qui a pour principe d’être basé sur des obsessions. On choisit nos sujets de façon très assumé parce qu’on les pense important. On les suit, on les lâche pas. On essaye de les traiter dans leur globalité et non pas juste sur un sujet économique ou un sujet culture etc. En fin de compte un sujet est rarement sur un seul domaine, il est souvent beaucoup plus vaste. Ça part vraiment du constat que les médias aujourd’hui sautent d’un sujet à l’autre. Alors qu’un sujet souvent n’est pas terminé, les médias partent ailleurs. Du coup, nous, on veut suivre les sujets sur la longueur. Ça permet aussi de parler des gens, de parler des lieux, du monde de façon un peu plus vaste.
En quoi ce projet est-il différent d’un projet de média classique ?
Vraiment par ce principe des obsessions. On est pas un média froid, on est un média long. Le but n’est pas de partir deux mois faire un grand papier de 45 pages, mais d’être un média d’actualité quotidienne avec des sujets fortement revendiqués. Autre apport, que l’on pense important pour les médias sur internet, c’est l’apport de la mise en scène, du graphisme, de la photographie. En fin de compte on s’est aperçu que, malheureusement, il y a très peu de politique d’image sur internet dans les médias en France. Il y a des politiques d’image sur le papier. Il y a des photos dans les médias sur internet, mais souvent ce sont des photos d’agences qui sont à peine choisies. C’est tout le temps les mêmes photos, voire, pas de photos du tout, voire, des photos prétexte ou des photos d’illustration qui ne veulent rien dire. En fin de compte on s’est rendu compte qu’il y a très peu de journaux, et c’est souvent très ponctuel, qui travaillent avec des photographes pour le web. Souvent ils le font pour le papier, mais pas pour le web. C’est notre culture la photo également, c’est un héritage de libération. On veut vraiment avoir une politique de photographie, une commande de photographies pour le web et des vidéos, dessins…une politique d’image.
Comment est né le projet ?
À libération. Libération n’allait pas très bien ces dernières années. Il a fallu que la rédaction discute entre elle pour faire émerger un projet rédactionnel de la rédaction de libération, au cas où libération se retrouverait au tribunal de commerce. Ça s’est pas fait, libération a été repris par des actionnaires, finalement Patrick Drahi. Mais les discussions ont continué entre certains. Ça s’est passé de façon un peu informelle. C’était intéressant de parler de l’information, de parler des médias, de parler de l’info sur internet, parce que c’était un projet web avant tout. En fin de compte, on a continué a discuter, à se voir presque toutes les semaines pendant un an, sans forcément se dire que c’était pour lancer quelque chose. Ça dépendait où allait Libération, on avait pas du tout pris la décision de partir, il n’y avait pas de plan social ou quoi que ce soit. C’était plus parce que ça nous faisait du bien de parler, de réfléchir sur notre métier. Au final, il y a eu un plan social. On a tous, pour des raison différentes, décidé de ne pas rester par désaccords sur des points divers. De façon très naturelle, autre chose s’est enclenché. Ça s’appelait pas encore Les Jours à cette époque mais le projet s’est affiné. De nouvelles idées sont arrivées, d’autres ont été enlevées et c’est devenu Les Jours, de façon très naturelle
Pourquoi le crowdfunding pour un projet de média ?
C’était un double objectif. La construction d’une communauté, c’est important pour n’importe quel projet, pour un média en particulier. On voulait être un média sur abonnement. C’est à dire que nos abonnés doivent se sentir bien, chez eux. Il faut qu’il y ait vraiment une communauté d’esprit, quelque chose où ils se reconnaissent et où nous nous reconnaissons, dans nos lecteurs. On sera pas toujours d’accord mais il faut qu’il y ait ce liant. Le crowdfunding c’est aussi une façon de construire du lien. On a lancé une newsletter au mois de mars qui a une douzaine de milliers d’abonnés aujourd’hui, qui est notre première communauté. Le crowdfunding a été la construction d’un second volet de cette communauté. C’était aussi une façon de faire parler médiatiquement des Jours, de construire. Il y a eu la newsletter. On a lancé une landing page. Le crowdfunding c’était une troisième étape, médiatique. Le but c’était aussi de récupérer de l’argent pour amorcer la construction du site, l’aspect technique. Tout ça coûte de l’argent. On cherche des investisseurs à côté mais on veut construire Les Jours sur trois grands piliers. Ce que nous on y met, notre argent, l’argent des abonnés et les investisseurs. Le tout étant une garantie de l’indépendance pour la rédaction, c’est le point central. Plus on a d’argent par nos abonnés, plus on est indépendants et plus on peut faire du journalisme pour nos abonnés. C’est le but fondamental des Jours. Le crowdfunding c’était amorcer les abonnements
Comment s’est déroulée la collecte ?
Quand on regarde notre campagne, elle était en progression constante, à notre grande surprise. À chaque newsletter tous les mardi ça repartait. On a fait deux grosses premières semaine, la troisième ça allait encore, la quatrième semaine on a plafonné un petit peu. Après on a changé un peu, la newsletter a eu son effet. Il y a eu quelques relances par twitter, les réseaux sociaux et c’est bien reparti, jusqu’à la fin. Le choix de KissKiss, c’est par affinité, pas un choix revendiqué. À l’époque on était pas loin, passage des petites écuries. C’est con mais ça se joue sur des choses comme ça. Parce qu’au final, entre Ulule et KissKiss, le produit est quand même français. On voulait pas prendre Kickstarter. On s’est posé la question parce que Kickstarter démarrait en France à l’époque. On s’est dit que ça nous donnerait un petit coup de visibilité supplémentaire.
Quel conseil donneriez-vous à des médias indépendant qui souhaitent utiliser le crowdfunding ?
D’y passer du temps. Ça prend beaucoup de temps, en amont, pendant la campagne. On y a passé des semaines entières, et pendant la campagne ça nous occupait tous les jours. Il fallait tout le temps être sur la campagne, pour la suivre, répondre aux questions, relancer de façon ciblée, faire la pub de la campagne. Je pense que le plus dur pour nous, et c’est là où l’accompagnement de KissKiss était intéressant, c’était de comprendre le sens de cette campagne et de comprendre ce qu’on vendait. C’est pas juste un soutien, c’est un soutien en échange de quelque chose. On avait du mal à formaliser ça. Au début on l’avait abordé comme une simple campagne de soutien. On a compris qu’il fallait donner quelque chose en échange. Il fallait réussir à mettre des mots et une forme sur ce quelque chose. C’est une campagne de communication. C’est pas notre métier. On a appris ça.
Quelles sont les prochaines étapes ?
On est dans la création du site, techniquement. On a des maquettes qui commencent à sortir. On est dans le cœur du boulot. On a plusieurs versions du site qui vont se jalonner à la fin de l’année. On continue nos dates, partout en France pour présenter le projet. On va à Nantes, Rennes Lille et puis Strasbourg. Ensuite, il y aura le lancement, version public, dans les prochains mois. On ne donne pas de dates car la priorité numéro un c’est que ce soit bien. Si il nous faut un mois de plus on le prendra.
Un mot pour vos KissBankers ?
C’est agréable d’avoir du soutien. Quand on a 1400 pré abonnés et 80 000 euros, ça acte des choses. Même devant des investisseurs, c’est des chiffres qui pèsent.