Lutter contre le réchauffement climatique en mangeant de la viande : c’est ce que propose Félix Noblia. Cet agriculteur basque prône la polyculture-élevage : un système sans pesticide et sans labour où la culture et l’élevage sont complémentaires.
Cette interview a été réalisée dans le cadre des Rencontres internationales de l’Agriculture du Vivant, en février 2019.
Qu’est-ce que la polyculture-élevage ?
C’est un système où on a à la fois de la culture, de l’élevage et une complémentarité entre ces deux ateliers. Les deux sont imbriqués l’un dans l’autre. Les animaux mangent des cultures, que ce soit fourragère ou en graines. Et les cultures sont fertilisées par les excréments des animaux.
Aujourd’hui, ce n’est pas la norme ?
Pendant des années, l’agriculture s’est orientée vers la spécialisation des ateliers. Aujourd’hui, on se rend compte que la complémentarité des deux est très importante. Il faut une répartition paysagère assez importante entre des infrastructures agroécologiques, de l’élevage qui vient valoriser des prairies et des cultures qui viennent s’imbriquer dans ce système, fertilisées par les excréments.
Comment fonctionne cette agriculture ?
Les vaches sont des herbivores – donc elles mangent de l’herbe. Elles sont conduites dans un système qui s’appelle le pâturage tournant dynamique. Dans ce modèle, on déplace les animaux très fréquemment et ils ne peuvent pas revenir là où ils ont tout mangé. Ils tondent la zone et se déplacent, comme les troupeaux dans la savane. Et donc l’herbe a le temps de cicatriser, de repousser, d’aller explorer le sol avec ses racines. Quand les animaux sont sur ces parcelles, ils défèquent de manière aléatoire. Cela vient enrichir le sol. On se rend compte qu’on peut aller jusqu’à 4 tonnes de carbone par hectare par an de stockage dans le sol grâce à cette modalité de gestion de l’élevage.
Cette dynamique d’agriculture est très importante pour réconcilier le consommateur avec les pratiques agricoles – Félix Noblia, agriculteur en polyculture-élevage.
Mais ce n’est pas tout. On obtient aussi de la viande beaucoup plus riche en antioxydant et en Oméga 3. On recrée du sens au métier de paysan en amenant de la santé dans nos assiettes. Cette dynamique d’agriculture est très importante pour réconcilier le consommateur avec les pratiques agricoles. Le consommateur doit savoir que manger de la viande, c’est bon pour la santé. Mais pas n’importe quelle viande. De la viande qui a été nourrie correctement. Des herbivores à l’herbe. Et pour le lait c’est pareil. Chez moi, c’est pâturage tournant dynamique pour tout le monde, avec les animaux le plus possible dehors et de la valorisation de certains couverts d’interculture ou de certaines cultures par le pâturage.
Il y a une phrase qu’Arnaud Daguin répète souvent : « ce que tu manges dessinent ton monde ? » Qu’est-ce que ça vous évoque ?
Hippocrate, père de la médecine, disait la même chose : “De l’alimentation tu feras ta première médecine.” Et donc, cela dessine notre paysage parce que notre mode de consommation va définir le mode d’agriculture qui va pouvoir nous nourrir. C’est-à-dire que si on achète du cochon chinois qui vit dans des immeubles à cochons de 13 étage, où les cochons prennent des ascenseurs pour aller à l’abattoir, on le choisit. Si on veut manger du boeuf, on choisit le boeuf qu’on mange. On peut choisir des steaks de boeuf dans un restaurant fast-food ou de le manger dans un restaurant où on connait sa provenance.
Est-ce qu’on peut imaginer une agriculture sans élevage ?
Si elle est sans travail de sol, dans des idées complètement folles, oui on peut imaginer. Mais aujourd’hui, dire que nous ne voulons plus d’élevage, parce qu’on ne veut plus tuer des animaux et passer des engins de travail de sol qui tuent des milliards d’êtres vivants à l’hectare : quelle est la valeur de l’être vivant ? Est-ce qu’un être vivant vache à plus de valeur qu’un ver de terre, parce qu’on la voit et que le ver de terre on ne le voit pas ? Ce qui est important c’est des compromis. Une vache sur un hectare de culture a plus de poids de verre de terre que de vache dessus.
Ces vaches ne sont pas là pour manger des cultures, elles sont là pour valoriser des parcelles qui ne pourraient pas être valorisées autrement. C’est un élevage qui résout des problèmes et des enjeux climatiques, c’est-à-dire qu’on peut lutter contre le réchauffement climatique, en mangeant de la viande.
Mais il faut choisir ce qu’on veut. Si on veut manger de la viande qui a mangé du soja OMG rempli de molécules qu’on ne citera pas, qui a poussé en bâtiment, et ne nous amène pas que de la santé dans l’assiette – même pas du tout : on a le choix. Mais il faut se poser la question de : « Qu’est-ce qui va dessiner notre monde? »
Qu’est-ce qu’on peut souhaiter pour l’agriculture ?
On peut souhaiter deux choses ou trois. La première c’est qu’il y ait une prise de conscience réelle de l’ensemble des agriculteurs et du monde agricole, des enjeux. Comment je produis ? Comment je me positionne face à cette production, face aux consommateurs ? Qu’est-ce que je fais vraiment ?
La deuxième, c’est le consommateur : quels moyens intellectuels je mets dans mon acte d’alimentation. Quelles questions je me pose ? Comment je consomme ? Qu’est-ce que j’achète ? Et ça, c’est un point déterminant.
Et la dernière chose c’est une prise en compte aussi des pouvoirs publics et de l’État qui doit se rendre compte que l’agroécologie, ça fait revenir la biodiversité, que l’agroécologie ça stocke du carbone, que l’agroécologie ça dépollue l’eau, que l’agroécologie ça amène de la santé dans les assiettes… Tout cela, soit la société paye pour que le système fonctionne comme ça, soit le consommateur le paye dans les hôpitaux, les maladies longues durées, l’eau qui coûte 55 milliards d’euros pour être dépolluée, sur la biodiversité – dans 100 ans il n’y aura plus d’insectes – et sur le carbone – on sait qu’on va prendre deux degrés avant la fin du siècle. On n’a pas d’avenir pour nos enfants si on ne change pas de modèle.
Et changer d’agriculture c’est le plus simple…