Yannick Kergoat, réalisateur des « Nouveaux chiens de garde », et Denis Robert, journaliste qui a révélé l’affaire Clearstream, s’associent pour un film implacable sur l’évasion fiscale.
En 2006, le film « Indigènes » de Rachid Bouchareb permettait d’aboutir à une loi : les anciens combattants des colonies reçoivent désormais des pensions identiques à celles des Français. Quelques années plus tard, c’est au tour de « Welcome » de mener au vote d’une loi sur le délit de solidarité. Ces films le prouvent : le cinéma a le pouvoir de faire bouger les lignes de la société. La même flamme anime l’équipe de « La très (grande) évasion », prochain documentaire de Yannick Kergoat & Denis Robert.
Chaque année, 100 milliards d’euros, victimes de l’évasion fiscale, manquent au budget de l’État français. 100 milliards d’euros, c’est plus que le budget de l’Éducation nationale. 100 milliards d’euros, c’est plus que la collecte de l’impôt sur le revenu. Avec les « gilets jaunes », la question de l’évasion de capitaux ressurgit au coeur de l’actualité sociale. « Les Français vivent sous le régime des politiques d’austérité depuis au moins dix ans. De gouvernement en gouvernement, de président en président, on dit que les caisses sont vides, qu’il faut se serrer la ceinture et qu’il faut faire avec. Hors l’argent existe. Il s’enfuit. Il va dans les poches enrichir des gens qui sont de plus en plus riches », débute Yannick Kergoat, coréaliseur du film.
L’évasion fiscale est acceptée comme quelque chose de normal
Depuis de nombreuses années, une question anime Denis Robert, journaliste qui a notamment révélé le scandale de Clearstream : « Comment un pays aussi riche que le nôtre avec autant d’entreprises, autant de journalistes, autant de types qui travaillent, produit autant de pauvreté et de plus en pauvreté ? » L’évasion fiscale arrive alors comme un premier élément de réponse : « Tout cela fonctionne parce qu’on a justement intégré l’évasion fiscale comme si c’était quelque chose de normal. » Animée par la même flamme, les deux réalisateurs s’associent pour dénoncer et donner une nouvelle dimension au sujet. Mais pourquoi faire ce film alors qu’il y a déjà eu tellement d’articles, de livres et de reportages télévisés sur cette question ? « Une salle de cinéma, c’est l’endroit idéal pour débattre, apporter du savoir, de la connaissance et ouvrir les gens qui verront le film à de nouvelles représentations. Et donc… générer de la colère, de la réflexion ! », répond Denis Robert.
La salle de cinéma, espace de débat
« Un film n’agit pas du tout de la même manière sur la conscience des gens. D’abord, cela ne s’adresse pas aux mêmes personnes. Et cela ne s’adresse pas à eux de la même manière », poursuit Yannick Kergoat. Ce dernier n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. En 2011, il coréalise « Les nouveaux chiens de garde » : un documentaire qui explore les collusions entre les groupes de médias français et les politiques. Véritable succès en salle et nommé aux César, le réalisateur, en allant la rencontre des spectateurs, a pris conscience de l’importance de cet espace public. Un espace public qui, selon lui, a été confisqué par des médias qui servent ce système : « Pourquoi ? Parce que ce sont des grandes fortunes, des multinationales qui les possèdent en France en très large majorité. Donc il y a un enjeu d’aller au contact des gens au travers d’un film comme celui qu’on veut faire. »
La (très) grande évasion : ça va bouger bouger
Pour Bertrand Faivre, producteur du documentaire, l’idée est de faire un film qui fasse bouger les lignes de la société. Tout comme Welcome, qu’il a coproduit et « Indigènes », monté par Yannick Kergoat. « Il se trouve qu’on peut, avec des films, aussi ambitieux que ça paraisse, faire bouger des lignes. À un moment, c’est un objet qui ne nous appartient plus mais appartient à la sphère publique », avance le producteur. Le film devient ainsi un objet de débat : une porte ouverte pour faire évoluer la société et pourquoi pas, les lois. Au sujet de La (Très) grande évasion, il ajoute : « Le film, ce n’est pas l’envie de dénoncer une fois de plus des scandales. Ils ont toujours été là et il y en a des plus en plus. A chaque fois, un grand émoi s’ensuit mais aucune action. La question du film c’est vraiment : pourquoi et comment faire bouger ça ? » Moins d’émotion, plus d’action(s) !
Déjà + 3 000 contributeurs pour ce documentaire
Convaincu de l’intérêt public du projet, Bertrand Faivre, producteur du film, a frappé à de nombreuses portes qui sont restées fermées : »Quand je suis parti dans le financement et le développement de ce film, je n’étais pas dupe. Dans un pays où la plupart des groupes de médias appartiennent à des intérêts privés, je n’espérais pas un énorme soutien. Mais je pensais que nous arriverions un peu à passer entre les gouttes. Pas du tout. En 25 ans de carrière, je n’ai jamais eu de refus aussi rapides et unanimes des chaînes. » L’équipe a alors décidé de lancer son crowdfunding en janvier et montrer que, « si ! » : l’évasion fiscale intéresse et concerne (violemment et directement) tous les citoyens. En une semaine, plus de 3 000 contributeurs ont déjà participé pour 100 000 euros collectés. Alors, pari réussi ? La collecte n’est pas terminée : il reste une vingtaine de jours pour permettre au film de voir le jour !
Vous aussi, soutenez « La (très) grande évasion » (enfin, justement non ;-)) ! Direction les Bahamas ? C’est par ici ✈️: participer à la collecte.