Face aux difficultés des maisons de disque et aux nouveaux pouvoirs de la foule connectée, grâce aussi au financement participatif et l’home studio, les musiciens sont de plus en plus nombreux à s’autoproduire. Même les plus confirmés d’entre eux, adoubés par la critique et anciennement sous contrat avec un label y ont recours. Qui sont-ils ? Pourquoi s’autoproduisent-ils ? Solution de fortune ou vraie révolution ?
Le rappeur JUL est couronné par ses pairs d’une Victoire de la musique pour le meilleur album de musique urbaine. Derrière son succès, nul label autre que le sien, D’or et de platine et un distributeur digital encore confidentiel il y a quelques années, Musicast. Libéré de son label Liga One Industry depuis 2014, aujourd’hui l’affaire de Jul affiche une santé insolente grâce aux quatre albums publiés par le chanteur en moins de trois ans et des ventes qui s’élèvent à plus d’un million de disques et de mp3. « JUL fait partie de cette nouvelle génération de musiciens qui choisissent d’être indépendants », explique Claire Giraudin, directrice de la SACEM Université (une structure qui fait œuvre de pédagogie auprès des musiciens et du grand public sur les questions de droit d’auteur, des métiers de la musique et de la création).« Et il n’est pas le seul : on peut aussi citer le cas d’Antoine Guéna du groupe 1995 qui se réclame du Do-It-Yourself ».
«Sur chaque euro collecté par les plateformes de streaming un auteur-interprète-compositeur sous licence récupère 7 centimes ! »
Distributeurs digitaux, plateformes de crowdfunding pour financer les albums, home studio, réseaux sociaux, tous les outils sont à priori à portée de clic pour produire et distribuer sa musique de manière tout à fait indépendante. Devenir indépendant peut être tentant. Un auteur-interprète-compositeur sous licence ne récupère que 7 cents sur chaque euro collecté par les plateformes de streaming, le reste est raflé par le label, l’agrégateur (sorte de grossiste de l’industrie musicale qui distribue et recommande les artistes sur les différentes plateformes), l’éditeur, la TVA et la plateforme d’écoute. Un autre exemple frappant selon Philippe Astor, journaliste spécialiste de l’industrie musicale, est le cas du trompettiste à succès Ibrahim Maalouf. Econduit par les labels, il finit par s’autoproduire. 10 albums et une flopée de collaborations prestigieuses plus tard, Maalouf est toujours là, fier et indépendant. Mais son cas et celui de JUL ne font pas école pour autant : rares sont les artistes à vivre décemment de leur musique en indé.
« KissKiss, c’est comme monter une entreprise »
« Certes lorsqu’on est indépendant, au lieu de toucher un dixième de ce que l’on produit, on récupère 50-60% mais on travaille beaucoup plus par ailleurs. Et ça laisse moins de temps pour la musique », rappelle l’artiste-interprète Barbara Carlotti. « Il y a toujours un imaginaire flou autour de l’artiste qu’on imagine composer d’un trait devant son ordi et ses synthés mais la réalité est autre : il fait un travail artisanal qui prend du temps ». Et quand on demande à Carlotti si les outils collaboratifs mis à disposition par le web libèrent davantage l’artiste – la distribution digitale, la mise en relation avec les tourneurs, l’artiste diffère : « oui, toutes les décisions aujourd’hui concernant mon projet musical, c’est moi qui les prends mais on ne peut pas tout faire ». Un autre écueil est le financement d’album. En hiver dernier, Barbara Carlotti monte une campagne de crowdfunding sur KissKissBankBank. L’expérience, dit-elle, est « excitante, mais éprouvante ». On ne se rend certainement pas compte, « un KissKiss, c’est comme monter une petite entreprise ». Pour offrir des contreparties sympathiques à son public, la chanteuse songe à des cadeaux qui collent au sujet de son album, le rêve. « Mon mot d’ordre pour ce KissKiss, c’était ni prostitution ni mendicité, s’amuse-t-elle, je tenais à proposer aussi mon univers dans les contreparties ».
Mais alors où est le futur du musicien indépendant ?
Il se loge peut-être dans la blockchain, une technologie de stockage et de transmission, transparente, sécurisée et entièrement décentralisée – c’est la foule qui s’autogère. L’émancipation de l’artiste par la blockchain, c’est la conviction de l’artiste Imogen Heap. Depuis 2011, la chanteuse travaille sur Mycelia, une start-up censée redonner la main aux musiciens et les libérer de la précarisation de leur métier… grâce à la blockchain et l’automatisation de leurs contrats et donc de leurs rémunérations. Pour Claire Giraudin, cette solution ne coule pas non plus de source : « comme toute technologie décentralisée, la blockchain appliquée à la musique ne marchera bien qu’à partir du moment où elle sera normalisée. Pour le moment, ce n’est pas le cas ». L’avenir de la musique, peut-être, se joue-t-il dans l’intelligence artificielle, mais certainement pas celui du musicien.
Claire Giraudin tempère : « La musique assistée par ordinateur existe depuis très longtemps. Les machines ne vont pas remplacer l’humain et encore moins le musicien. Elles l’aideront à composer ou bien seront sur des tâches de composition répétitives à destination de formats audiovisuels à budget riquiqui ». Encore que. Au Royaume-Uni, raconte Philippe Astor, un chef d’orchestre de la BBC s’est réjoui de jouer un morceau composé par un algorithme. Aucun risque, explique alors le chef, que le compositeur débarque pour imposer son interprétation ou… réclame son dû en sonnantes et trébuchantes. Un chef d’orchestre bien misanthrope !