Pendant 4 ans à Grimouville, un petit village normand, un anonyme colle chaque nuit une feuille de papier avec un chiffre énigmatique sur le mur du cimetière. Personne ne sait qui il est et encore moins à quoi correspondent ces chiffres qui augmentent tous les jours. En 2013, deux étudiants en journalisme décident de partir enquêter. Pour réaliser leur webdoc, ils passent par la case crowdfunding. Rencontre avec les réalisateurs du “Mystère de Grimouville”.
Réalisation d’un webdocumentaire
“Le mystère de Grimouville, c’est une enquête journalistique un peu décalée dans un petit village de Normandie qui était un peu divisé et intrigué par l’action d’un habitant qui se levait toutes les nuits pour coller un chiffre sur le mur du cimetière. Chacun y allait de son interprétation, de son accusation pour savoir qui était le présumé colleur. On a trouvé ça super intéressant, de ce que ça racontait de la vie dans un petit village et surtout, on a beaucoup aimé l’énigme” débute Romain Jeanticou, coauteur du documentaire. À la base, il s’agissait d’un projet étudiant de récit à écrire pour le magazine de leur école. Une fois sur place, Romain et son acolyte Charles-Henry Groult décident de tout filmer. Après avoir interviewé les gens du village, ils décident de faire ce que ni les journalistes locaux, ni la police, ni les habitants n’ont fait : planquer toute une nuit (de novembre) devant le cimetière.
Grimouville, un webdoc pas du tout prémédité
“Avec nos interlocuteurs à l’école, on s’est dit qu’il fallait en faire un objet multimédia plus qu’un récit écrit. Ensuite, on a rencontré Adrien Aumont de KissKissBankBank qui nous a parlé du FIGRA, festival du grand reportage d’actualité”, se souvient le journaliste. Ils participent alors dans ce cadre à un concours de pitch du meilleur webdocumentaire, INSIDE Web&Doc Figra 2013, qu’ils remportent. “C’est suite à cela que nous avons lancé la collecte de financement participatif. Au départ, l’histoire de Grimouville n’était pas du tout préméditée !”, souligne Romain. “On avait besoin de financement pour payer le développement du webdoc pour qu’il fonctionne sur iPad, sur iPhone… On devait trouver environ 3 000 euros. On s’est rendu compte qu’il n’y avait pas 10 000 possibilités. Soit on se finançait par nos propres moyens – sachant qu’on était étudiant –, soit on allait chercher de l’argent auprès des gens qui trouvaient le projet chouette”, souligne Charles-Henry Groult, coréalisateur. Pour les deux étudiants de l’époque, le crowdfunding représente alors le meilleur moyen de financer leur documentaire de façon rapide, directe, en indépendant. “Exactement de la manière dont on avait fait le documentaire. De notre propre initiative, de bouts de ficelles. On ne pouvait pas trouver mieux pour réussir à en faire quelque chose assez rapidement”, ajoute Romain Jeanticou.
Grimouville à la Maison-Blanche
“On a vraiment construit tout un récit à l’intérieur même de la collecte, qui ressemblait à ce qu’on voulait faire avec le webdoc. Pour mettre en scène la collecte, on plaçait des numéros, comme le colleur, un peu partout où on allait. Au moment du crowdfunding, on était en stage tous les deux. Moi, j’étais à l’AFP à Washington. J’ai été coller des numéros sur la Maison-Blanche où on disait aux gens : « Il n’y a plus que deux semaines pour la collecte »”, raconte le porteur de projet. Pour lui, le succès du projet documentaire vient avant tout de l’histoire complètement folle de Grimouville : “Pour faire un projet multimédia, journalistique, narratif… il faut avoir un récit hyper fort. Le récit de Grimouville, on pouvait le pitcher en 10 secondes et tout le monde voulait connaître la fin. Il y a un côté intriguant qui a plu tout de suite. Donc il faut trouver des histoires originales. Ça parait bateau mais c’est presque le plus difficile.”
Crowdfunding : apporter de l’indépendance
“Le crowdfunding peut apporter une forme d’intégrité au journalisme. Il permet de rester indépendant – dans une certaine mesure, évidemment. Mais il permet de se passer de certains investisseurs, actionnaires, de groupes… On sait que c’est un des plus gros problèmes pour la liberté de la presse en France. Aujourd’hui, être en lien direct avec ses lecteurs, avec ses abonnées, ça permet de répondre à leur demande, à ce qu’ils veulent lire, à ce qui les intéressent. Ensuite, cela permet aux journalistes de faire leur travail en toute indépendance et intégrité”, explique le journaliste. Charles-Henri ajoute : “Pour moi, le crowdfunding a deux avantages. Le premier, c’est qu’il permet un peu d’amorçage en terme d’argent quand on a une centaine d’euros et qu’on veut 2 000, 3 000, 4 000 euros pour payer des frais de reportage. Deuxièmement, ça permet d’avoir un amortissage en terme de communication grâce à une page internet, sur KissKissBankBank, où on va pouvoir mettre les infos sur le projet en cours, fédérer une petite communauté autour de son projet. Côté argent et côté com, je pense que c’est tout bénef !”
“Le financement participatif ne doit pas être une béquille”
Pour ce dernier, la force du crowdfunding reste que tout le monde puisse lever des fonds. Le problème dans le journalisme ? “Ça serait dommage que le crowdfunding devienne une béquille pour des médias qui n’ont pas le culot d’investir dans des projets documentaires”, souligne le journaliste. Il ajoute : “On n’a pas voulu que le crowdfunding soit une béquille qui permette au média de prendre notre projet sans l’acheter et le diffuser gratuitement en disant : “De toute façon, il est déjà financé”. Il y avait presque un an de travail derrière.”