Alors que la distillation est interdite à Paris depuis le début du XXème siècle, les frères Sébastien et Nicolas Julhès décident d’aller au bout de leur rêve. Après 5 ans de bataille pour obtenir une dérogation et une collecte de crowdfunding, ils lancent la première et seule distillerie parisienne. Aujourd’hui, la Distillerie de Paris fête ses 5 ans et se lance dans une nouvelle aventure : les premiers parfums distillés dans la capitale.
“L’idée de cette distillerie était d’aller chercher l’esprit parisien. Ce bouillonnement, cette émulation autour de la créativité avec cette ville où des gens du monde entier vont venir pour parler, réfléchir, apprendre autour du monde de l’esthétique. C’est cette énergie que nous voulions capter. La magie de la ville des croisements”, débute Nicolas Julhès, cofondateur. La Distillerie de Paris revendique ainsi une sorte d’anti-territoire en s’inspirant de la ville pour créer des spiritueux différemment. Ces dernières années, les frères Julhès ont ainsi élaboré de nombreux gins, un spiritueux à base d’eau d’érable ou encore un spiritueux d’agave. Des créations qui ont un peu fait bouger le monde du spiritueux.
Connaître l’univers traditionnel pour le réinventer
La créativité de la distillerie est d’ailleurs reconnue à l’international : “Nous faisons aussi du consulting pour des mastodontes mondiaux qui vont venir s’intéresser à notre créativité.” Venant d’une famille de producteurs, les frères ont toujours été passionnés par l’univers incroyable des spiritueux. “On avait – on a toujours d’ailleurs – énormément de respect pour la production traditionnelle. Ce sont ces grandes entreprises qui ont fait le monde du cognac, du rhum, du whiskey… qui animent notre passion. Mais on avait envie de poser un regard un peu différent. Et cela demandait beaucoup de respect et de connaissance de ce monde très traditionnel pour aller un peu le réinventer mais sans jamais d’arrogance ou de condescende. Et donc, c’était important de repartir un peu de zéro à Paris, sur une feuille blanche, avec toute cette inspiration, cette énergie venue de l’extérieur”, développe le cofondateur.
Une tribu contre l’interdiction de distiller
Il y a une dizaine d’années, lorsque les frères commencent à monter leur projet, il se trouve confronté à un problème – et pas des moindres : distiller à Paris est interdit. “Il a fallu convaincre tout le monde, obtenir des dérogations et c’est là que le crowdfunding prenait vraiment tout son sens”, souligne Nicolas julhès. L’idée de ce financement participatif était de dire : “Nous ne sommes pas seuls. Nous avons derrière nous une communauté de 508 personnes qui ont fait un acte important de parier sur ce projet et de le demander finalement.” Sur les 10 000 euros demandés pour amorcer leur projet, ils en obtiennent… 40 000. Ils se retrouvent alors face à une « interdiction d’échec » pour honorer les contributeurs qui ont soutenu le projet : “Sur ce projet, l’argent n’était pas vraiment le moteur principal mais c’était l’énergie de la communauté, sa validation et le courage que ça nous donnait. C’est cette énergie qui venait d’eux qui nous a poussé à nous dépasser, à aller au-delà des “non”, de toutes les portes claquées… Et nous sommes allés au bout !”
Contribuer à un projet, un acte de foi énorme
Quand les frères commencent à réfléchir à leur projet, il y a 10 ans, ce sont aussi les débuts du crowdfunding : “On avait l’impression que c’était le meilleur d’internet, que c’était l’ouverture des rapports. A l’époque, il y avait un mot – qu’on utilise plus vraiment – qui était la tribu : “Vas chercher ta tribu.” On a un peu oublié ce terme mais il correspondait à l’énergie de l’époque. C’est-à-dire qu’il y avait un peu la notion de défricheur, cette envie d’entreprendre. L’idée qu’une entreprise peut être moins orientée sur l’argent mais plus sur l’aventure.” Ce dernier rappelle : “Bien sûr, ce n’est pas une lettre au Père Noël. Il ne faut pas penser qu’on met le projet sur le site et que l’argent tombe du ciel. Il faut se présenter, aller animer, communiquer, échanger avec sa communauté pour qu’elle réponde présente.” Un exercice de style très apprécié par les banquiers de la Distillerie : “On leur a montré qu’on était capable de bouger des gens, de les passionner par notre aventure et de les faire suivre. C’est un acte de foi énorme quand quelqu’un sort sa carte bleue et met sa contribution sur un projet qui est frappé du sceau du peut-être.”
Le premier parfum distillé à Paris
Aujourd’hui, les deux frères reviennent avec un nouveau projet : créer le premier parfum fabriqué à Paris dans leur distillerie. “Nous proposons quelque chose de vraiment différent dans le monde du parfum. On fait le parfum en utilisant de l’alcool qui est produit sur un alambic traditionnel, avec une vision du parfum un peu distruptive et décalée”, souligne Nicolas Julhès. Parfum mixte, le créateur explique : “J’ai un peu du mal à composer les parfums de manière sexuée. Est-ce qu’un parquet est féminin ou masculin ? Et la lampe ? C’est assez bizarre en fait. Le rose pour les filles, le bleu pour les garçons, c’est purement social. Si on dit rouge et bleu. Tout le monde pense rouge chaud et bleu froid. Mais dans le spectre chromatique, le rouge est plus froid que le bleu. Il y a plein de choses que nous avons intégrées qui sont purement sociales. Mais par contre, le goût, moi je le crée plus avec mes tripes. Du coup, intégrer des données sociales, je trouve ça chiant. Et… je ne sais pas le faire.”
Réunir deux mondes divorcés : l’alcool et le parfum
Avec ce nouveau projet, Nicolas Julhès revient aujourd’hui à sa passion d’enfance, le parfum : “Le parfum est fait en majorité à base d’alcool et ces deux mondes avaient divorcé pour des raisons de fiscalité. D’un côté, à cause des taxes sur l’alcool et de l’autre, parce qu’à partir des années 1860, les arômes de synthèses sont arrivés et ont définitivement séparé ces deux univers. Et nous, on a remis ces deux univers ensemble en distillant notre parfum dans la capitale.” À nouveau, les Julhès s’inspire de l’énergie créative, des rencontres et du bouillonnement parisien. Leur force ? Proposer un parfum très différent de ce qui se fait sur le marché : “La matière première utilisée est notre alcool aromatique, structuré, texturé et ce qui n’existe pas chez les autres.”