En 2050, la population mondiale atteindra, selon l’ONU, 9,8 milliards d’habitants. Les terres consacrées à la production agricole ne peuvent croître davantage sans dommages. En France, une grande partie des agriculteurs paysans sont en souffrance. Des solutions durables sont à trouver : celles d’une agriculture plus vertueuse et tout aussi productive. Quelles sont les alternatives ? Focus sur deux initiatives, financées par le crowdfunding, qui regardent définitivement vers l’avenir : Biofermes et Maraichage Sol Vivant.
Le modèle alimentaire intensif est dans une impasse. Il détruit les sols, assèche les ressources et malmène les paysans. Pire, selon la Cornell University, en 30 ans, la Terre aurait perdu un tiers de ses terres arables et s’assèche toujours plus. Et ces terres pourraient être perdues de manières irréversibles au cours des 60 prochaines années, si rien ne change. En France déjà, toutes les 2 heures, ce ne sont pas moins de 3 exploitations agricoles qui disparaîtraient.
L’agriculture, ça peut pousser tout seul
Pourtant, François Mulet en est sûr – l’exploitation qu’il tient avec son frère en est la preuve – : « l’agriculture, ça peut pousser tout seul ». A Breteuil sur Iton, dans les champs des frangins maraichers, on cultive une certaine idée de l’agriculture. Une agriculture nouvelle génération – on y reviendra – qui concilie respect de l’environnement et santé du paysan. Et ce n’est pas du luxe quand on sait qu’en France, malheureusement, un paysan se suicide tous les deux jours (Agence nationale de la santé publique, 2016). La faute à un travail pénible, une pression constante et une précarité financière liée à la dépendance du paysan. Une dépendance à des produits nocifs pour lui, ses produits et ses terres même, un rapport de force à son détriment avec les distributeurs. Dans un article publié en mars 2016 dans le média en ligne Reporterre, Philippe Grégoire, éleveur laitier, explique que son père, entre 1953 et 1988, vivait mieux avec cinq fois moins de terres, trois fois moins de vaches laitières et une production de dix à trente fois inférieure à la sienne. La faute à des négociations de prix dans des conditions inégalitaires, selon l’ANIA (Association nationale des industries) : « Un fournisseur (agriculteur), même le plus gros, ne représente que 1 ou 2 % du chiffre d’affaires du distributeur, alors que ce dernier représente souvent de 20 à 40 % du chiffre d’affaires du fournisseur ».
Agro-industrie : le modèle conventionnel s’essouffle
A l’association SOL, on est conscient de la gravité de la situation paysanne. Depuis plus de 30 ans, SOL œuvre à promouvoir des alternatives à un modèle économique et social jugé carnassier et inéquitable et s’intéresse plus particulièrement à l’agriculture paysanne. Pour tenter de réparer les dégâts subis par les agriculteurs – « en plus, d’ici 20 ans on va perdre 40% de nos paysans », rappelle sa directrice, Clotilde Bato, et il n’y aurait pas 36 solutions possibles et viables. Il faut redonner aux paysans « le pouvoir sur leur autonomie ». SOL a donc mis au point après des expérimentations fructueuses d’agroécologie en Afrique de l’ouest et en Inde le programme français Biofermes. « Pour nous, l’autonomie passe par la formation des paysans à des modèles alternatifs agricoles ». 60% de l’alimentation est produite par des petites fermes, raconte Clotilde Bato, « or, le modèle conventionnel d’agro-industrie s’essouffle avec une utilisation massive de pesticides et une non-autonomie des paysans qui s’endettent. C’est un modèle économique qui s’essouffle, qui essouffle l’environnement, mais aussi les paysans qui sont en souffrance ». SOL avec son programme Biofermes vante donc le modèle d’une petite ferme qui permettrait aux paysans d’être autonome économiquement parlant, mais aussi de respecter l’environnement – là, pas de pesticides.
Revaloriser le métier de paysan : le maître-mot !
Concrètement, le programme met en réseau un ensemble de petites fermes qui ont chacune un modèle vertueux à répliquer, des savoir-faire à transmettre. « Parmi les gens qui souhaitent se former, il y a beaucoup d’urbains qui sont en quête de sens, mais souvent, ils idéalisent le métier de maraicher. On souhaite montrer qu’il y a aussi d’autres métiers ». Le maître-mot : revaloriser le métier de paysan. Biofermes dispense ainsi des formations pratiques en agro-écologie sur des micro-fermes aux néo-paysans et autres paysans en devenir. Grâce au partenaire de Biofermes, Intelligence Verte, pendant 45 jours, les aspirants paysans apprennent et s’entraînent sur des lopins de terre. A l’issue de ces 45 jours, on envoie les plus motivés passer deux mois dans une des fermes du réseau.
Paysan : un métier qui demande de comprendre les écosystèmes
A Breteuil sur Iton dans l’Eure, on croit aussi aux vertus de la formation comme Biofermes, mais on va un cran plus loin. Le paysan est un chercheur, scande-t-on ! François Mulet est maraîcher, membre fondateur du collectif Maraichage Sol Vivant… et paysan-chercheur. Ce que le réalisateur et cofondateur du Mouvement Colibris Cyril Dion dit déjà à mots clairs dans une vidéo vantant l’approche de Biofermes : « Le métier de paysan, c’est un métier de chercheur, un métier d’avenir. Ça demande bien comprendre les écosystèmes ». François Mulet a compris, lui, que les écosystèmes, il ne fallait pas les brusquer parce que « le sol est vivant ». Il ne faut donc pas travailler le sol. « Le sol, c’est un écosystème. Il faut le considérer comme un être vivant à part entière. Un sol a une activité biologique qui le structure. Il a un squelette, des vaisseaux sanguins comme nous : ce sont les champignons, les vers de terre, les bactéries qui constituent l’habitat qui va convenir à la plante », explique-t-il. Et les outils à soc, tels que la charrue ou les machines utilisées pour le labour de terrain détruisent cet écosystème. Moralité : il ne faut pas travailler le sol. Le métal des outils conventionnels est alors remplacé par le végétal : ce sont les racines des plantes cultivées qui travaillent le sol ainsi que les vers de terre qui travaillent avec leurs tunnels à une meilleure infiltration de l’eau. Et le travail du paysan devient ainsi moins pénible.
Agriculture paysanne : quand la ferme devient un laboratoire d’expérience
Et alors, est-ce que ça pousse vraiment tout ça ? La réponse est oui. « Aujourd’hui, sur presque toutes les cultures, on produit autant qu’avec les méthodes de l’agriculture classique et le rendement est doublé, voire triplé sur les cultures d’oignon ou de betterave, par exemple ». Depuis la création du collectif, plus de 200 agriculteurs se sont constitués en réseau – le collectif Maraichage Sol Vivant – pour étudier et promouvoir cette nouvelle vision de l’agriculture. Et la promotion passe aussi par des réseaux, ceux d’internet. Aujourd’hui, le réseau Maraichage Sol Vivant forme grâce à des MOOC sur Youtube à peu près 50 personnes par jour : « 1500 agriculteurs regardent nos vidéos pendant 15 min environ chaque jour sur 6 heures de formation complète ». Une fois formés, les producteurs font de leur ferme un laboratoire d’expérience. « Il devient donc essentiel pour nous de recueillir les résultats, les classifier et les partager au plus grand nombre dans un corpus ». Au fond, s’amuse François Mulet, « on redevient des chasseurs-cueilleurs, doublés de scientifiques. On arrête d’être juste des applicateurs. On a appris à développer notre propre système en ayant une démarche scientifique méticuleuse ». Quand le nom de Professeur Tournesol prend tout son sens…